Objectif Cinema

Season 1 episode 2

 Phoenix Atala

by Nicolas VILLODRE

Année après année, Sophie Herbin, la très charmante et avenante chargée de la danse du Conservatoire Olivier Messiaen de Champigny, programme dans ce havre de paix, sis quatre rue Proudhon, en pleine « cité jardins » d’une banlieue restée rouge, ce qu’il y a de plus révolutionnaire en matière de contemporain, ce qui se fait de plus audacieux dans les disciplines urbaines ou dans les spectacles d’avant-garde, modernes, trans-genres, quitte à contrarier le goût moyen, à ignorer l’audimat, à frôler le déceptif – mais on en est tous là. Le 1er avril – date chargée de sens pour une opération de l’espèce de celle dont nous allons causer, relevant peu ou prou, qu’on le veuille ou non, de la farce et de l’attrape –, Phoenix Atala, partenaire, disciple, garçon  adoptif sinon naturelle du duo mythique d’actionnistes français Grand Magasin (Pascale Murtin et François Hiffler), y présentait sa première œuvre perso, un film « élargi » au titre sonnant comme un série télé à l’américaine : SAISON 1 ÉPISODE 2.

Après une inattendue « Rumba du pinceau » quelque peu bégayante à cause de l’usure du CD, écrite et chantée en 1947 par Bourvil (sur le thème : « Car pour faire bonne figure, faut toujours un peu d’peinture pour sauver la façade »), mise en musique par Etienne Lorin, dansée par quatre étudiantes en arts plastiques et mise en place de façon minimaliste par Marie-Laure Tétaud, sorte d’apéritif à la soirée, connoté « pratique amateur », la séance cinématographique proprement dite pouvait débuter dans sa version méta- filmique, c.à.d. avec présentation à l’ancienne (voire à l’antienne), interventions diverses dans l’esprit du Film est déjà commencé ?, débat et tout et tout.

Comme c’est généralement le cas avec Grand Magasin, dont nous n’avons pas vu tout le « travail » mais dont tout ce que nous avons vu nous a toujours enchanté, paru excellent, c.à.d. à la fois poétique et spirituel – dans la hiérarchie de valeurs qui est la nôtre, ces deux critères définissent ce

qu’il y a de plus difficile en art –, le film de Phoenix Atala questionne avec naïveté (feinte), malice et finesse le langage. Il ne s’agit plus de la langue française, comme habituellement, mais de ce qu’il est convenu d’appeler « l’écriture cinématographique », mise au point par Griffith et admise depuis comme une évidence par les spectateurs. « Où est placé le caméraman ? À quel moment le plan va-t-il changer ? Cette scène a-t-elle été tournée dans l’ordre chronologique ? Combien de prises ont été nécessaires avant d’obtenir la bonne ? Ce sont les questions que se posent ouvertement les personnages du film » Tel est le pitch spectacle où peuvent intervenir à tout moment, à tout bout de champ, sortir deprotagonistes du film : Pascale Murtin, Christophe Salengro, Aurélia Petit, Virginie Petit, Danièle Colomine, Joseph Dahan, Christophe Arrot, Marc Bruckert, Etienne Charry, François Hiffler. Ceci étant dit, le film a tout de même son autonomie et peut être apprécié en tant que tel. En soi.

Le film est aussi un documentaire sur
la banlieue, sur les bords de Seine et
de Marne en particulier, qui n’ont rien
gardé de l’aspect idyllique naguère
véhiculé par le cinéma populiste d’un
Marcel Carné (Nogent, Eldorado du
dimanche, 1929) ou d’un Jean Dréville
(cf. À la Varenne, 1933, clip musical juxtaposant une java chantée par le Bayonnais André Perchicot à des images de guinguettes genre Chez Gégenne, d’amoureux déjeunant et se bécotant sur l’herbe ou faisant du canotage) ou celui, (du Front) populaire, d’un Julien Duvivier (La Belle équipe, 1936). Une affiche déteinte de Marie-George Buffet, le palaisimpérial postmoderne (néo-archaïque), saugrenu, voire absurde du Chinagora, entièrement voué au petit business et à des séminaires deco-cos (communistes commerçants), la façade (cf. Bourvil) du Chingaora Hôtel qui va avec, des quais désertés qui s’offrent comme des décors antonioniens, des parkings, des passerelles en béton friable, des palissades, les cheminées de l’usine d’incinération de Vitry, une caserne de pompiers, des immeubles conçus par des « architectes » au goût douteux, des galeries marchandes et autres centres commerciaux, des pseudo-« agoras » et des soi-disant « forums »…

Phoenix s’autorise quelques coquetteries visuelles : un split-screen digne de L’Affaire Thomas Crown (photo de l’affiche du film avec une ménagère en chemisier Vichy rouge repassant sa nappe à carreaux de la même teinte ou faisant la vaisselle dans une cuisine carrelée assortie à ces motifs ; l’apparition du message redouté par tous les monteurs virtuels : « Media offline » ; le placement des sous-titres, annoncé par les comédiens eux- mêmes ; quelques plans flous assumés ; l’image anamorphosée ; plusieuurs scènes d’arts martiaux inspirées sans doute par la proximité du Sino Center

Mais la valeur et la saveur de l’entreprise reposent sur le va-et-vient constant ou, au moins, toujours possible, entre les interventions de « performers live » et les actes du colloque tels qu’ils ont été fixés, au mois d’août dernier, dans les environs d’Alfortville, une bonne fois pour toutes, serait-on tenté de dire : pour l’éternité ou la postérité, sur la petite peau de la bande HDV. Et, naturellement, sur des effets de concordance (cf. les deux exemples de post-synchronisation en direct d’une séquence prétendument défectueuse) et de discordance (faux raccords, jeu des sept erreurs de la scripte, personnage incarné par des acteurs différents, comme dans le théâtre post-brechtien, inserts incongrus, dans l’esprit d’Hellzapoppin’, de danseurs folkloriques serbes, etc.). Bien que film et pièce ne soient pas vraiment narratifs, le jeune réalisateur semble fasciné par le récit et par la panoplie de moyens dont a besoin le cinéma dominant – dit « classique ». Du coup, nous ne dévoilerons pas la fin de son spectacle, qui n’a rien d’une résolution du problème posé, mais qui s’offre comme un bonus au film.

Mouvement

La performance à l’épreuve des images

Les Inaccoutumés à la Ménagerie de Verre

date de publication : 15/12/2009 // 6030 signes

Des fidèles (Alain Buffard, Claudia Triozzi), des nouveaux venus (Gérald Kurdian, Bettina Atala), de la danse, de la performance, du cinéma, de la vidéo, de la chanson… : retour sur les dix « objets chorégraphiques contemporains » de cette nouvelle édition des Inaccoutumés à la Ménagerie de Verre, où se brouillent les frontières entre performance et expérience.

Savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va, en montrant des œuvres qui ont marqué l’histoire de la performance, comme Park, pièce de 1998 de Claudia Triozzi, pour mettre en perspective les créations actuelles (1999 de Gérald Kurdian, Retrospective Exhibitionistde Miguel Gutierrez, ou Souffles I de Vincent Dupont). Telle semble être l’intention de départ de cette programmation 2009 des Inaccoutumés, concoctée, comme toujours depuis quinze ans, par Marie-Thérèse Allier, directrice de la Ménagerie de Verre. Cette année plus encore, les Inaccoutumés s’attachent à remettre en question la notion de discipline, grâce notamment à l’irruption de l’image en mouvement dans le champ chorégraphique, comme en témoignent plusieurs pièces où interviennent le cinéma ou la vidéo.

Cinématographies

Dans cet espace si particulier qu’est la Ménagerie de Verre, la salle principale, dont le bas plafond délimite une vision en cinémascope et dont la profondeur permet les plans successifs, instaure une intimité particulière avec le spectateur. Là, le 100% polyester, objet dansant n°49 de Christian Rizzo, pièce désormais « historique » de 1999 pour robes-fantômes virevoltantes, prend, par son clair-obscur dramaturgique (dû à Caty Olive) et son travelling arrière, une dimension cinématographique.

Dans la projection commentée du film saison 1, épisode 2 de Phoenix Atala, la salle devient un cinéma. Devant l’écran qui barre la scène, le réalisateur décortique les procédés filmiques (montage, répétitions, raccords) dans une poïétique systématique qui va jusqu’à l’épuisement. Cinéma et performance sont mêlés mais restent imperméables l’un à l’autre, jusqu’à ce que, miracle !, le réel, sous la forme de danseurs folkloriques aperçus plus tôt dans le film, fasse irruption en « crevant l’écran » : comme dans La Rose pourpre du Caire de Woody Allen, la fiction rejoint la réalité, sans retour en arrière possible, dans une sorte d’épiphanie, d’incarnation miraculeuse. On reste ébahi devant cette apparition, au point qu’elle oblitère dans le souvenir l’œuvre filmée présentée et sa démarche à la fois drôle et conceptuelle de déstructuration du cinéma.

Telerama

Saison 1 épisode 2

De Phoenix Atala, par le Collectif Grand Magasin

A ce stade, on n’est pas loin de penser que Grand Magasin sera toujours Grand Magasin. Vingt ans que le collectif existe, que ses membres sont reconnaissables
à la première réplique, toujours mi-pop mi-kitsch, en jupes, tee-shirts, ou pantalons trop courts et très acidulés. Et ils sidèrent encore, avec de nouveaux gestes, d’énièmes pieds de nez à prendre au pied de la lettre, de nouvelles petites phrases aussi absurdes que tombant sous le sens. Increvable bande de sérieux hurluberlus.

Au départ, il y avait Pascale Murtin et François Hiffler, repentis en 1982 des milieux de la danse. Le trentenaire Phoenix Atala, qui les a rejoints en 2000, ne dépareille pas. Saison 1 épisode 2 est son bébé, un film réalisé sans connaissance audiovisuelle, et c’est ce qui en fait le sel. En apprenti réalisateur, Phoenix s’interroge de la scène à l’écran sur ce merveilleux monde où un type passe instantanément du 1er au 31e étage en ascenseur. Avec lui, un plan manquant peut être suppléé par des séquences de danse folklorique serbe… Sauf incompatibilité d’humour, très vite, vous grimacez de régal incrédule. Parce que dit comme ça, il y a mille et un angles pour voir les choses, mille et une échelles de mesures, mille et une incongruités réjouissantes qui trouent ostensiblement la réalité… alors qu’on s’était évertués à les occulter.

Cathy Blisson

Telerama n° 3042 – 03 mai 2008